Côte d'Ivoire
Aquaculture (Kossou et Taabo)
HUDDA & LA SOCIETE D’ELEVAGE ET DE DISTRIBUTION DE POISSON
(SEDP - Côte d'Ivoire)
LE PARI DE L’INTENSIF DANS UN ENVIRONNEMENT AQUACOLE A CREER
Par Jérôme Lazard
La SEDP (Société d’élevage et de distribution de poisson) a été créée en 2014 avec pour objectifs la production de poisson de taille marchande (tilapia du Nil) en cages flottantes dans deux lacs de barrage (Kossou et Taabo) et celle d’alevins sur un centre d’alevinage à Andé à proximité d’Adzopé pour ses propres besoins et ceux de pisciculteurs actifs ou potentiels.
L’absence d’usine de fabrication d’aliment destiné à l’aquaculture en Côte d’Ivoire contraint la SEDP à importer cet intrant essentiel en aquaculture à partir d’un pays voisin, le Ghana, où une filière dynamique basée sur l’aquaculture en cages flottantes mise en œuvre par un secteur privé diversifié dans le Lac Volta s’est développée avec succès depuis une quinzaine d’années (plus de 50 000 tonnes en 2016).
Rien de tel en Côte d’Ivoire où la production aquacole se caractérise par :
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Un niveau de production qui, figé à 3 000 tonnes/an, ne parvient pas à décoller malgré les nombreux projets institutionnels mis en œuvre ;
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Des importations de poissons qui ne cessent d’augmenter et atteignent aujourd’hui le niveau de 250 000 tonnes/an ;
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Une priorité donnée aux systèmes de production extensifs en milieu rural qui s’ils présentent un réel intérêt social et local (diversification des productions agricoles et approvisionnement des marchés ruraux) ne peuvent prétendre constituer une solution pour permettre une production à la hauteur des besoins de la Côte d’Ivoire ;
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Un service public chargé de l’aquaculture qui demeure très administratif au lieu de promouvoir les bases d’un partenariat public-privé et mettre en place un environnement propice à l’engagement d’opérateurs privés dans l’aquaculture à tous les niveaux de la chaîne de valeur ;
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De nombreuses tentatives de mise en œuvre de fermes aquacoles industrielles (>100 tonnes/an) de production de tilapia et de poisson-chat qui se sont soldées par des échecs.
Dans ce contexte, la SEDP a fait le pari de conjurer cet environnement en pariant sur une approche composée des « ingrédients » développés ci-dessous. Un consultant de HUDDA a accompagné cette dynamique depuis le premier jour.
Sur le plan des ressources humaines et des transferts de technologies, la SEDP a privilégié la formation de ses ingénieurs et de ses techniciens dans les pays majeurs en matière d’aquaculture du tilapia au travers de stages proposés par des centres de formation. Il s’agit principalement de la Thaïlande, du Brésil, de l’Egypte, d’Israël. En outre des liens ont été tissés avec des entreprises privées de production de tilapia et de fourniture de matériel aquacole (Chine, Brésil, Thaïlande). Le transfert des technologies mises en œuvre a été effectué par les techniciens de la SEDP en prenant le plus grand soin de l’adapter au contexte des infrastructures disponibles et du contexte ivoirien. Une restitution des stages aux ouvriers aquacoles par les techniciens a été méthodiquement opérée.
Au niveau de la production d’alevins, la SEDP est partie d’une ancienne ferme aquacole composée d’étangs à l’état de quasi-abandon à Andé à proximité de la ville d’Adzopé dans le sud-est du pays. Après une réhabilitation des étangs et du système hydraulique, un itinéraire technique de production d’alevins a été appliqué basé sur la mise en charge des géniteurs en étangs et la récolte des alevins après 15-20 jours, à une taille permettant la pratique d’un traitement hormonal pour la production d’individus monosexes mâles, dont la croissance est supérieure à celle des femelles (1,5 à 1,8 fois). Avec le développement des infrastructures de grossissement en cages et le besoin croissant en alevins, une intensification du système d’alevinage s’est opérée en plusieurs étapes :
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D’abord la reproduction des géniteurs en hapas (voir photos) et la collecte des alevins âgés de quelques jours au sein de ceux-ci ;
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Puis, toujours en hapas, la collecte des produits de la reproduction à divers stades de développement directement dans la bouche des femelles et leur incubation dans une écloserie construite sur la station d’alevinage avec l’appui technique de l’AIT (Thaïlande).
Cette intensification a permis de multiplier la capacité de production d’alevins de la SEDP par un facteur 10.
Au niveau de la production de tilapia de taille marchande (poids individuel de 400-800 g), elle s’effectue en cages flottantes de 50 m3 de volume individuel implantées dans deux lacs de barrage hydroélectrique : Kossou et Taabo. Environ 400 cages opérationnelles ont permis la production de 800 tonnes en 2016.
L’absence de support de la part des services de l’Etat a contraint la SEDP à assurer elle-même des services qui ne lui revenaient en principe pas. La SEDP a ainsi mis en place un programme de monitoring de la qualité physico-chimique et biologique de l’eau de ces deux lacs de façon à optimiser la conduite des élevages en fonction des paramètres environnementaux et éventuellement prévoir la survenue de conditions défavorables. La figure fournit un exemple de ce type de suivi.
Un autre exemple est fourni par la conduite au sein de la SEDP d’expérimentations visant à évaluer le potentiel de croissance de diverses souches de tilapia du Nil selon divers paramètres d’élevage. Un exemple de résultat obtenu en 2016 est donné dans le tableau.
L’apparition de mortalités importantes en fin d’année 2016 a révélé la survenue brutale d’une pathologie bactérienne à streptocoques (Streptoccus columnaris). En l’absence de toute assistance vétérinaire spécialisée en ichtyo pathologie présente en Côte d’Ivoire, la SEDP a dû gérer cette situation en s’appuyant sur ses propres réseaux (HUDDA, Thaïlande, fournisseur d’aliment ghanéen).
En ce début d’année 2017, la SEDP est en passe de démontrer la faisabilité technique et économique d’une production de tilapia du Nil dans des conditions intensives en cages flottantes en lacs de barrage en Côte d’Ivoire. Elle montre également que pour sécuriser, pérenniser et développer ce type de production, la mise en place de services spécialisés d’appui aux exploitations piscicoles s’impose et ils ne peuvent être à la seule initiative et à la seule charge des producteurs.
D’évidence, le développement de fermes aquacoles ne se fera pas isolé du reste d’un tissu aquacole à bâtir conjointement par toutes les parties prenantes de la chaîne de valeur aquacole : opérateurs du secteur privé incluant pisciculteurs artisanaux, PME et producteurs industriels, fournisseurs d’intrants et acteurs de la commercialisation/transformation, société civile émergente dynamisée par une jeunesse intégrée de façon croissante par les réseaux sociaux en plein essor, et services de l’état qu’il conviendra de « bousculer » pour l’amener à jouer son rôle de
catalyseur.